Existe-t-il des "tribunaux qui peuvent rendre la justice selon la charia" en Angleterre, comme l'affirme Bellamy ?

par Claire CAMBIER
Publié le 18 novembre 2019 à 19h40, mis à jour le 21 novembre 2019 à 14h39
Existe-t-il des "tribunaux qui peuvent rendre la justice selon la charia" en Angleterre, comme l'affirme Bellamy ?
Source : SHAUN CURRY / AFP

RELIGIONS - Dénonçant la montée des revendications communautaires, l'eurodéputé François-Xavier Bellamy a opposé les modèles français et anglo-saxon, soulignant la présence de tribunaux islamistes Outre-Atlantique. De quoi parle-t-il exactement ?

François-Xavier Bellamy, a affirmé ce dimanche son soutien à Bruno Retailleau. Le chef des Républicains au Sénat compte proposer une loi visant à interdire les "listes communautaires". Une interdiction qui vise avant tout "un Islam fondamentaliste qui gagne du terrain dans notre pays", selon l'eurodéputé sur France Inter.

Pour justifier ses dires, il a pris en exemple le modèle anglo-saxon : "en Angleterre par exemple, il y a des tribunaux qui peuvent rendre la justice selon la charia. Je ne veux pas de ça pour mon pays, je ne veux pas de ça pour la France."

Des Conseils de la Charia

Ces tribunaux existent-ils ? Le Royaume-Uni compte en effet des "conseils de la Charia" qui peuvent être assimilés à des tribunaux islamiques. On estime qu'il en existe entre 35 et 80 dans le pays. Mais François-Xavier Bellamy exagère quand il estime que ces tribunaux "peuvent rendre la justice". 

Un rapport réalisé à la demande du gouvernement et présenté en 2018 au Parlement rappelle que ces "conseils de la charia n'ont pas de statut légal" et que si "les décisions et recommandations faites par un conseil de la charia sont contradictoires avec la loi" du pays, "la loi prévaut". Les fausses idées sur ces institutions religieuses seraient "dues à l'usage de termes incorrects, comme la référence à des 'cours' pour évoquer ces 'conseils' et à des 'juges' pour parler de ses membres."

Les premiers Conseils de ce type ont été créés dans les années 80, sous le gouvernement Thatcher. Le Conseil islamique de la Charia de la mosquée Jami’a à Birmingham se vante d'être le premier Conseil de la Charia d'Europe, il existe depuis 1982.

A quoi servent ces institutions ? Principalement à régler des conflits familiaux. Dans plus de 90% des cas, il s'agit de divorces. Une médiation qui, si elle est difficile à appréhender pour notre société laïque, est largement acceptée au Royaume Uni. "Ce pays n’a pas connu de révolution, n'a pas eu de laïcité, de séparation entre l’Eglise et l’Etat, analysait en 2017, au micro de France 2, le Pr Marat Shterin, sociologue des religions au King’s College. Le principe général est d’accommoder la diversité religieuse à la société. Alors si certains sujets peuvent être traités au sein des communautés par des gens compétents et respectables, pourquoi ne pas les laisser faire ?"

La religion musulmane n'est d'ailleurs pas la seule à procéder ainsi dans le pays. Le rapport gouvernemental, dirigé par Mona Siddiqui, professeur d'études islamiques et inter-religieuses, à l'université d'Edinburgh, dresse un parallèle avec le "jewish Beth Din" pour la communauté juive et les tribunaux catholiques romains, qui règlent eux aussi les différends au sein de leurs communautés respectives.

La discrimination des femmes en question

Si le gouvernement tolère ces pratiques, il se montre toutefois concerné par le sort des femmes, qui peuvent être victimes de décisions discriminatoires prises par les conseils islamiques. Plus de 90% des personnes faisant appel à ces organismes sont en effet "des femmes souhaitant un divorce islamique". Il est plus facile pour un homme de divorcer, ce dernier peut prendre la décision seul, tandis qu'une femme doit obtenir le consentement de chefs religieux.  

Si ces femmes se tournent vers ces conseils islamiques plutôt que des juridictions du pays, sans avocat, ni assurance d'une égalité de traitement, c'est que bien souvent, elles ne sont mariées que religieusement, il leur est donc impossible de procéder à un divorce civil. Dans d'autres cas, cette reconnaissance religieuse est exigée par l'entourage de ces femmes. Enfin, il peut s'agir de motivation financière et pratique, un divorce religieux pouvant être réglé plus rapidement et à moindre frais.

Pour tenter de remédier à ces discriminations avérées, le gouvernement conseille aux femmes musulmanes de faire reconnaître leur union devant les autorités du pays.

Et en France ?

Des instances religieuses existent également en France. Pour la communauté juive par exemple, le Consistoire de Paris indique ainsi sur son site internet que "le divorce civil n’est pas suffisant vis-à-vis de la Torah". "Pour rompre un mariage religieux, il faut impérativement procéder à une cérémonie religieuse au cours de laquelle le mari doit remettre à son épouse, en présence d’un 'Beth-Din' (Tribunal Rabbinique), un Guet ou acte de divorce." Il précise toutefois la primauté de la loi civique : "en France, cette démarche religieuse sera précédée du divorce civil."

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Claire CAMBIER

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